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Films en Série
1 mars 2014

LE GRAND SOIR

le-grand-soir-affiche

 

Synopsis: Les Bonzini (Brigitte Fontaine et Areski Belkacem) tiennent le restaurant "La Pataterie" dans une zone commerciale. Leur fils aîné, Not (Benoit Poelvoorde), est le plus vieux punk à chien d'Europe. Son frère, Jean-Pierre (Albert Dupontel), est vendeur dans un magasin de literie. Quand Jean-Pierre est licencié, les deux frères se retrouvent. Le Grand Soir, c'est l'histoire d'une famille qui décide de faire la révolution... à sa manière. 

Analyse: 5ème film de Benoit Delépine et Gustave Kervern, sorti en 2012, et sans doute leur plus beau. Énième oeuvre intime du duo Grolandais, le niveau de poésie de ce dernier opus est d'une incroyable sensibilité. Porté par un casting monumental, avec un duo d'acteurs torturés, au sommet de leur art, ce film propose une révolution. Une révolution mentale, dans un monde mercantile.

Nous découvrons Not, il sort du centre ville, visiblement assez tôt le matin. Nous savons d'emblée que c'est lui, car son pseudonyme est tatoué au beau milieu de son front. Ses pas le mènent vers une zone commerciale, dans laquelle travaillent ses parents, responsables d'un restaurant. En chemin, il passera devant une concession, sur le trottoir de laquelle est exposée une pub pour "Feu Vert". L'icone de la société étant un chat blanc, le chien de Not, 8.6 (hommage à la bière du même nom), se mettra à aboyer violemment en direction du chat, ce qui provoquera la colère de Not, qui, trouvant sans doute la colère de son chien légitime, défoncera le panneau à coups de pieds!

Arrivé dans à l'entré de la zone commerciale, il terminera sa bière, sans omettre de se servir d'une dernière gorgée, pour entretenir sa crête iroquoise. Il traversera, seul avec son chien, la zone déserte en cette heure matinale en direction de "La Pataterie" de ses parents. En quelques minutes, nous avons toute la symbolique du monde de Not. La rébellion systématique à la société, sa solitude dans ce monde marchand.

Not

Not se retrouve à table, en compagnie de son père et de son frère. Ici, les réalisateurs ont choisi de nous montrer l'incompatibilité de leur monde respectif, d'une manière aussi bête qu'efficace : un flot ininterrompu de paroles des deux frères, chacun y allant de sa leçon de morale sur le monde tel qu'ils le conçoivent, Not, se ventant de ses techniques pour "emmerder" les flics lors des gardes à vue, et Jean-Pierre, ventant les mérites des nouvelles technologies audiovisuelles, accessibles à tous, via le crédit à la consommation, face à leur père qui visiblement, ne les écoute absolument pas, tentant de comprendre le fonctionnement du gâteau d'anniversaire électronique destiné à sa femme, qui visiblement, fait tout, pour éviter la compagnie de ses enfants ... Une belle vision de la société, où chacun ne fait que regarder son nombril, sans jamais prêter attention à l'autre. 

Au sortir du repas, Jean-Pierre fera un discours particulièrement hautain à son frère sur les normes et la qualité de vie du monde occidental, basant son discours sur le fait que pour lui, ce sont les règles du monde actuel qui font augmenter l'espérence de vie. Il a toute confiance en ce mode de vie, où tout est norme, donc rassurant. Pour Jean-Pierre, les centres commerciaux sont des lieux de vie, où les gens viennent se rencontrer, "chercher de la chaleur l'hiver, et de la fraîcheur l'été". Not ira d'une réponse tranchante: "Et ta connerie? Elle est aux normes?"

Le lendemain matin, Jean-Pierre, vendeur dans un magasin de literie, après avoir embauché en retard,  se verra menacé de licenciement par son patron, sous prétexte de crise. Et pendant que ce dernier lui fera la leçon, il verra son frère, qui pourtant n'a rien à faire là, traverser le parking avec un caddie... Le rattrapant pour savoir ce qu'il fait là, Not lui dira que la nuit lui a porté conseil, que si la vie est ici, il n'y a pas de raison qu'il ne vienne pas y faire ses courses, comme les autres. Connaissant l'anarchisme de son frère, Jean-Pierre n'hésitera pas, au nom des règles, à le menacer de le faire virer par la sécurité au moindre écart de conduite.

Exécution du téléphone

De retour à son magasin, Jean-Pierre s'embrouillera avec un client difficile. Sa relation avec ce client, sera symbolique de l'inutilité de son métier, face à l'ère internet, où tout est achetable par correspondance. Il appellera par la suite sa femme, avec qui, visiblement, il est en conflit. De son côté, Not, laissera son chien attaché sur le rond point du centre commercial, pour ne pas s'attirer d'ennuis. On comprendra la relation quasi filiale qu'il entretient avec son chien. Dans le magasin, provoquant la sécurité comme un enfant inconscient, il cherchera la sympathie d'une vieille dame, afin de se faire offrir des bières, un coup à boire après les courses, et peut être même un repas. Le parasitisme absolu.

Par la suite, Jean-Pierre, ne trouvant pas de baby-sitter, laissera la garde de sa fille à sa mère, malgré son dégoût affiché des enfants. Refusant de s'en occuper, elle abandonnera la petite à Quick. La femme de Jean-Pierre ira la récupérer au drive du restaurant, accompagnée de son avocat, pour faire constater l'acte. Le divorce est en marche.

De son côté, Not, errera sur la zone, se livrant à tout un tas d'excès. Allant de l'improvisation d'un concert face à son reflet dans la vitrine d'une pizzeria, empêchant une famille de manger, de l'autre côté de la vitre, jusqu'au vol de nourriture dans le caddie des gens, en passant par une mendicité plutôt agressive.

Lettre de Démission

Subissant la pression de son patron, et n'ayant aucun client sous la main, Jean-Pierre prendra un échantillon de son nouveau produit phare, la "mousse intelligente", et ira faire de la vente sauvage dans la galerie commerciale du supermarché. On le verra obliger les gens à l'écouter dans un restaurant, puis poursuivre les gens ne l'écoutant pas. Après un ellipse, on le retrouvera allongé sur un matelas au pied d'un arbre. Ne sachant trop ce qui s'est passé, il retournera à son bureau, sur lequel il trouvera un carton rempli de ses affaires. Comprenant qu'il est licencié, il demandera des explications à son patron, qui lui montrera une vidéo sur laquelle on voit qu'il a clairement pété les plombs au coeur du magasin, et qu'il a posé sa démission.

Pétant les plombs une bonne fois pour toute, il tentera de convaincre son patron de le reprendre en menaçant son patron d'un revolver fait avec ses doigts ... Il ira ensuite à la banque, tenter de mettre de l'argent de côté pour sa fille. Il y apprendra que sa femme l'a ruiné ... Dépassé par les évènements, il quittera la zone commerciale, pour se retrouver dans un pré, où il laissera sa frustration et sa colère s'exprimer contre un arbuste ... Scène d'un pathétisme incroyable, car au bout d'une minute de bagarre, il tombera d'épuisement, alors que l'arbuste, malgré un traitement particulièrement violent, restera imperturbable.

On le retrouvera, au restaurant de ses parents, à taper des curriculum vitae, à côté de ses parents, qui pèlent des patates, imperturbables. Se rendant compte de la bêtise de leur activité, il les accusera de n'être personne, car pour réussir dans la vie, il faut être un enfant de parents célèbres. Pour toute réponse, il se verra offrir la succession de ses parents. Il quittera le restaurant pour distribuer ses curriculum vitae dans la zone, accompagné de son frère, qui l'ayant senti dans la détresse, lui proposera son aide. Not ira jusqu'à postuler au nom de son frère, faisant son éloge. L'image d'un punk sale, allant présenter les talents de vendeur de son frère, allongé dans un caddie, ne demande qu'à être vue. Le refus d'un des magasins, au nom de la crise, provoquera la colère de Not, qui rétorquera que, les caddies sont toujours plein de "produits de merde, hors de prix", que ce n'est pas la crise.

Face à sa propre impuissance, dans ce monde auquel il croyait pouvoir faire confiance, il ne trouvera comme autre solution que de s'asperger d'essence, et de s'immoler par le feu, au milieu du super marché, réclamant la justice. Son cri de désespoir ne trouvera comme écho, que l'indifférence des clients, et la mise en marche du système d'arrosage anti incendie. Il finira en position foetale, en larmes, fumant, au milieu du parking ...

Not prendra alors la responsabilité de "sauver" son frère. Il lui rasera le crane, lui laissant seulement une crête iroquoise, et lui scarifiera le front d'un "dead", signifiant la mort de l'homme qu'il a été. La symbolique pour Not est énorme, le cérémonial quasi sacré. Il rend son frère libre de toutes les entraves de cette société. Il n'y a plus de Jean-Pierre, il n'y a plus que Dead.

Les frères réunis

Après une douche improvisé à la cascade d'un parking, ils retourneront sur le parking du centre commercial où Not apprendra à son frère, les rouages de son mode de vie. Il lui apprendra à se libérer des codes vestimentaires. Lui demandant de retirer sa cravate, il aura cette phrase: "Si t'es un chien en liberté, tu gardes pas ta laisse". Il lui apprendra à se relâcher, à vivre de manière plus détendu, et à surtout ne jamais rester immobile. L'immobilité, entraîne la réflexion, la réflexion, la déprime, la déprime, la mort. Il lui apprendra aussi à faire la manche. A faire pitié, sans faire peur. Jean-Pierre se retrouvera à demander une cigarette à une jeune femme, visiblement handicapée mentale. Et alors qu'il s'est confronté à la peur et à la crainte des gens, cette dernière lui offrira de bon coeur tout un paquet ...

Leurs parents les voyant errer dans le secteur, et n'en pouvant plus de les voir perdus, tenteront de se débarrasser d'eux en prétendant que leur père ne l'est pas vraiment. Démolis par la nouvelle, ils voleront un chariot élévateur, et partiront à travers la ville. La révélation donnera lieu à ce petit dialogue entre les deux frères:

Dead: "Où on peut aller? On avait plus d'avenir, maintenant, on a même plus de passé. Bravo ...

Not: Je t'ai dit. Le mieux, c'est de pas penser. Rouler droit devant. Vivre au présent."

Plus tard, cherchant du gaz pour le chariot, ils demanderont de l'aide dans un petit village. Ils y trouveront un homme en passe de se suicider dans une grange. Debout sur une charrette, une corde passée au cou, il est à deux doigts de sauter. Et alors que Not veut empêcher son frère d'intervenir, ce dernier parviendra par un discours sur la facilité que représente le suicide face à la complexité des évènements qui ont conduit cet homme ici, à l'empêcher de sauter. Jean-Pierre se sentira très fier d'avoir pris suffisamment de recul sur sa propre condition pour pouvoir avoir les mots qui ont sauvé la vie de cet homme. L'homme, lui, n'ayant pas oublié les mots de Dead, comme quoi cette solution manquait de gaieté et de panache, ira en fait se pendre sur un manège ...

Un suicide haut en couleurs

Leurs parents, petit à petit, prendront conscience de leurs actes. La mère en n'assumant pas le mensonge qu'ils leur ont raconté, et le père en se rendant compte après avoir pelé une patate, de l'inutilité, et de l'inconséquence de son activité. Réalisant la difficulté de la vie d'aujourd'hui, ils admettront que leurs enfants, à leur manière, ne s'en sortent pas si mal. Encore un dialogue particulièrement bien écrit :

La mère: "En ce moment, c'est pas des vies pour les enfants. [...] Ils sont chiant, mais c'est encore plus chiant quand ils sont pas là ! D'un autre côté, on a réussi ce qu'on voulait : les rendre libre ! Pour Jean-Pierre, ca a été dur. Mais, on y est arrivé non?

Le père: Nous... Qu'est-ce qu'on se fait chier!"

Not et Dead, continueront leur périple, convaincu que la vie, c'est aller droit devant soi, ils traverseront un lotissement, en passant par l'intérieur des maisons, enjambant les clotures. Leurs pas les mèneront à squatter la réception d'un mariage sordide, dans laquelle il mettront tout à sac. La cérémonie finira en bagarre générale. Seuls sur la route, ils en viendront à se questionner sur la vie des gens :

Dead: "Ils sont où les gens? Hein?

Not: J'sais pas.

Dead: Ils sont plus dans les usines. Ils sont plus dans les champs. Ils sont plus dans les églises. Alors ils sont où?

Not: Ils sont chez eux. Ils sont tous seul, et ils sont chez eux."

Sur la route, les deux frères développeront l'idée d'un projet. Devenir de vrais révolutionnaires. Réveiller les gens, mettre le feu aux poudres. "Devenir les détonateurs d'une explosion sociale". Dead ira voir sa femme chez elle, pour lui présenter ses excuses. Il lui expliquera qu'il n'était qu'un homme égaré. Il se présentera comme un homme plus calme, plus mature, et lui promettra de la rendre fière de lui. La situation est une nouvelle fois ridicule, tant son nouveau physique, crête, front tatoué, costume brûlé, ne correspond pas à son discours.

Un homme plus mature

Ils retourneront au centre commercial, qu'ils ont choisi comme le point de départ de leur révolution. C'est là que les gens ont, les premiers, le besoin d'être réveillés. Ils vont pour cela, tenter de les convaincre de se rendre, à une réunion sur un ancien parking du centre commercial, le soir même. Ils parcoureront le centre commercial dans tous les sens pour brieffer les gens, et se heurteront une nouvelle fois à l'indifférence et au mépris des gens. Pour gagner du temps dans sa prospection, Not, profitera de l'absence de surveillance à la caisse centrale du super marché, pour prendre le micro, et faire un discours aux gens. N'ayant pas trouvé la vidéo du discours, qui pourtant m'apparait comme central dans le film, je vous en retranscris ici le contenu :

"Je me présente, je m'appelle Not. Je suis le plus vieux punk à chien d'Europe. Et croyez moi, c'est pas évident. Je suis libre, mais j'en bave. Parce que... C'est pas facile de pas tomber dans l'alcool. C'est pas facile de faire la manche à des gens pauvres. C'est pas facile d'être rejeté par les femmes... C'est pas facile d'être seul en fait... Alors, vous serez tous d'accord avec moi pour dire que maintenant, y'en a marre! Y'en a marre, il faut que ça cesse, parce que vous êtes tous comme moi ! Vous êtes mal payés ! Vous êtes mal considérés ! Là haut y'a plus personne qui s'occupe de vous ! Il est temps que la meute hurle, parce qu'on est tous des punks à chien ! Tous ! Alors si comme moi vous voulez taper un grand coup, rendez vous ce soir au parking de l'ancien Leroy Merlin à 20h ! Vive la République !"

On retrouvera nos deux héros à l'endroit du rendez-vous, une heure après l'horaire fixé. Ils sont seuls. Ils tenteront de se convaincre que les gens ne sont pas venu, pour une bonne raison. Ils seront rejoint par leur père, qui a des les mains, un "E" géant. C'est un des "E" de l'enseigne de son restaurant. Il s'excusera. Leur assurera que le boulot l'a rendu con. Qu'il leur a menti dans le seul but de les éloigner. Not se plaindra qu'il ne les ait pas prévenus que la vie était si dure. Leur père les assurera qu'ils doivent continuer. Même s'ils sont seuls. Il a une idée pour eux.

Ils voleront une lettre de chaque enseigne de la zone commerciale, et iront les placer sur une colline des environs, face à la zone commerciale. Le "E" de leur père est sa contribution à leur révolution. Il détruira lui même tout le matériel de son restaurant. Les lettres assemblées forment la phrase "We Are Not Dead". La phrase est compréhensible à plusieurs niveaux. Au sens littéral, ils signent en quelque sorte leur "crime", de leurs pseudonymes, Not et Dead. Et au sens figuré, la phrase veut dire qu'il ne faut pas nous laisser aller. Prendre notre vie en mains. Nous ne sommes pas des consommateurs, ni des robots. Ne soyons pas passifs. Vivons. Nous ne sommes pas morts ! Le détournement des lettres d'enseignes commerciales rend la symbolique encore plus parlante.

We Are Not Dead

La morale, si elle n'était pas encore claire, devient, avec cette dernière scène, limpide. Le grand soir, selon la définition que l'on trouve sur Wikipédia, une notion définissant une rupture révolutionnaire, où tout est possible. Ce film est une certaine interprétation de cette définition. Une interprétation à travers le prisme d'un punk à chien et d'une famille à part. Mais ce grand soir qui est le leur, peut devenir le notre. Il suffit peut être de prêter attention aux messages qui constellent le films. Il suffit peut être de regarder notre condition en face... Ou bien il suffit peut être de regarder ce film une fois le soleil couché, et de passer... Un Grand Soir !

Podcast: https://www.youtube.com/watch?v=5o38tU6MW7s&feature=youtu.be

Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_Soir_(film,_2012)

Allociné: http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=195334.html

 

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  • Critiques de films et séries, qui ont, pour moi, une importance capitale, dans la construction d'une vie de cinéphile. De Freaks, à Man of Steel, les messages (parfois subliminaux) de certains films, méritent qu'on les décryptent.
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